Lassitude.

Publié le par Luz

[Attention, c'est un peu sombre]

Auprès du feu se balance un vieux siège.

Quelques braises s’échappent des flammes en sifflant, frôlant un bout de pied qui dépasse du fauteuil. L’incandescence de ces insolentes aventurières leur apporte une étrange illusion de vie. Les mutines s’envolent, puis rougeoient sur le sol de terre battue, luttant contre l’extinction. Et finalement, elles s’éteignent dans l’anonymat, sans avoir pu parcourir de plus amples distances.

Si d’aventure on foulait le sol ainsi parsemé de petites étoiles mourantes, on croirait marcher sur une œuvre d’art.

Le pied délicat repousse les cendres vers le foyer, dans un geste de désœuvrement. L’insomniaque cherche à tromper son vieil ennemi ; l’ennui. Elle suit avec un regard morne les efforts incompréhensibles des flammes, qui tentent de s’élever alors même qu’elles sont liées au bois qui se consume.

Je crois bien, pense la propriétaire de ce joli pied, que j’étais une petite flammèche plutôt vigoureuse autrefois, et pourtant je vais finir comme ces braises, une poussière solitaire, éloignée du foyer. Au final, l’aventure ne valait pas la peine d’être vécue, puisqu’elle finit mal.

Et les remords habituels viennent lui chuchoter à l’oreille tout ce qu’elle a perdu à faire les mauvais choix.

Elle ramène sa jambe sous elle, se pelotonne dans le fond du fauteuil, et laisse une petite larme chaude couler le long de sa joue.

Après un instant, elle décide de mettre fin à cet interminable empoisonnement.

La femme se lève, serrant contre elle un châle de laine ivoire, et abandonne le feu au profit de sa chambre. Un froid frisson se transmet depuis le sol gelé jusqu’à la pointe de ses cheveux. Rapidement, elle jette un coup d’œil au miroir, avant de courir vers son lit, où elle espère trouver le sommeil, l’oubli, et la chaleur.

Son reflet lui fait peur, elle le fuit, mais sans pouvoir s’empêcher de l’examiner d’un peu plus près jour après jour. L’invasion des rides est une catastrophe pour celle qui a toujours eu sa beauté comme rempart. Même lorsqu’elle s’éloigne du miroir maudit, l’image lui flotte dans la tête durant des heures. Ainsi, l’obsession s’amplifie, et elle se voit encore plus déformée que dans la glace.

Ramenant l’oreiller au plus près, l’insomniaque secoue ces vaines réflexions. Elle essaie de penser à autre chose, attend l’assoupissement inespéré. Elle rouvre un tiroir, une vieille blessure, comme si la douleur pouvait l’anesthésier définitivement. Elle se demande quel âge aurait sa fille aujourd’hui, si jamais elle était toujours en vie. Mais le rapide calcul la renvoie à sa propre addition. Et, alors qu’elle injurie le temps d’être passé aussi vite, et qu’elle pleure d’avoir si peu vécu, cette femme s’endort. D’un sommeil si lourd, si profond, et si noir, que son mari aura du mal à desserrer sa prise sur l’oreiller, au petit matin.

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T
<br /> Emouvante rétrospection, c' est bien écrit<br /> bonne journée<br /> <br /> <br />
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<br /> Heureusement que les rides ne conduisent pas obligatoirement à l'insomnie ...<br /> Ce texte est très fort et fait naître un film d'images. C'est beau, j'aime bien.<br /> <br /> <br />
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D
<br /> Frustrant ! tes petits morceaux de vie ! on aimerait en lire longtemps...<br /> Gros bisous !<br /> <br /> <br />
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