Tornaod (bonus)
Alors que les douze coups de minuit résonnent, là-bas au village, l'Hermine ne bouge plus. Elle ferme les yeux, tendue, et attend avec impatience la fin de ces coups sourds et lointains qui lui en rappellent d'autres, bien plus perceptibles. L'enfant resserre ses bras autour de ses mollets, recroquevillée. Un bleu violacé s'échappe d'une de ses manches déchirées.
A demi-assoupie, l'Hermine est calmée, apaisée. La petite voix sadique dans sa tête s'est évanouie. Cette heure de la journée est son unique moment de répit. A cet instant seulement, le vide s'empare de son âme, efface les cris qui ont retenti à ses oreilles toute la journée, gomme les désirs utopiques et les émotions encombrantes.
Alors que son rythme cardiaque ralentit, la dernière image que l'Hermine perçoit est un très vieux souvenir, une femme douce et gentille qui se penche vers elle en souriant.
Juste à temps, la fillette se relève d'un bond, secoue son petit corps glacé. Même la falaise ne parvient pas à faire passer cette douleur-là. Même l'ombre du gigantesque pic rocheux ne suffit pas à dissimuler l'absence criante de sa mère.
La cicatrice est profonde et définitive, l'oubli n'est pas permis.
Rien ni personne ne peut abolir la souffrance d'un orphelin. Il n'y a pas pire torture que de se savoir seul, à jamais, surtout avant l'âge de la maturité. Découvrir une telle vérité peut réduire n’importe qui à néant, mais s'en remettre, se relever, donne plus de force que le meilleur talisman.
Dans le cas présent, l'Hermine a survécu, mais la dureté de son armure fait d’elle une fille à part, et condamne tout rapport normal avec autrui.Elle se protège inconsciemment de toute autre déception.